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Derniers jours pour profiter de la sublime expo consacrée à la photographie indienne, au Palau de la Virreina. «Yo y el otro » (Moi et l'autre), c'est une galerie de portraits où les photographes sont aussi les acteurs. Autoportraits, familles, communautés... chaque photo des seize artistes dégage l'essentiel, la beauté.
Pour afficher la couleur, le Palau de la Virreina a choisi le portrait génial d'une vieille dame en robe rose, une anglo-indienne aux yeux électriques, d'un vert océan, elle sourit face à l'objectif, elle est belle (Dileep Prakash, The Anglo-indians series, Christine Fernandes, Khurda Road, 2005). Le ton est donné. L'exposition distille un premier thème, l'autoportrait, avec le travail très intime de Umrao Singh Sher-Gil (1870-1954), père de la célèbre Amrita Sher-Gil (1913-1941), artiste et figure de proue de l'émancipation féminine en Inde, morte à vingt-huit ans. L'aristocrate Umrao Sher Gil a partagé sa vie entre l'Inde, la Hongrie (sa femme, Marie-Antoinette, était hongroise) et la rue Bassano, à Paris. Les photos de la série His Misery and his Manuscript (1889-1949) sont un échantillon d'une vie fastueuse et intellectuelle. On y voit aussi ses deux filles, Amrita et Indira, et puis sa femme. Dans la plupart des autoportraits il se représente parmi les livres, en train de fumer d'un air songeur, à côté d'une machine à écrire, muni d'un telescope ou de son matériel photographique. De vieilles photos couleur sépia dans les appartements privés d'une grande famille. Richard Bartholomew (né en 1926), écrivain, critique d'art, peintre, poète et photographe, né en Birmanie, a fait de l'Inde sa terre d'adoption. Pour la photo, il croque sa famille des années 50 à 70. Du noir et blanc où les siens sont montrés dans des moments de sieste ou de lecture, les livres tiennent une place importante. Sa famille, ses deux garçons, Pablo et Robin. Des corps alanguis sur un matelas au sol ou sur un canapé, parfois sur le dos, parfois sur le ventre. Des photos volées qui disent l'amour du photographe pour la cellule familiale et la sérénité. Il y a dans ces images un sentiment protecteur, comme si les photographier dans leur sommeil conférait à l'artiste le pouvoir de protection sur les siens. Démiurge. Anita Khemka (née à New Dehli, en 1972), propose des autoportraits mis en scène lors de ses voyages. Self Portraits (2005-2008), c'est une série prise dans des trains, des gares. De Bangalore à Bombay ou de Salem à Chennai, elle se photographie et rend compte ainsi de la mobilité, mais surtout de la réaction de ceux qui font le voyage avec elle. L'anonymat d'un voyage solitaire dans la foule. Anay Mann, un peu décalé par rapport au reste de l'exposition, rend hommage au Banquet de Platon et plus particulièrement à la figure de l'androgyne, la beauté parfaite (The red room, 2008). Il le fait sans tabou avec une série montrant un couple homo dans une chambre d'hôtel chic, des scènes dans la salle de bain, face au miroir (Narcisse est également convoqué), sur le lit, une scène de sexe explicite. Ici, l'homme abandonne les oripeaux de la virilité, préférant se livrer à ses pulsions. Pas de barrières. Plus amusantes, les photos de Ebenezer Sunder Singh invitent à la réflexion, bousculant les symboles établis. Des images où le photographe devient un signe totalement surréaliste, comme celle, presque comique, où il a son poing enfoncé dans la bouche tandis que l'index de sa main gauche indique le bout de son sein (Wake me up when I am dead, 2008). L'exposition propose aussi des photographes qui croquent les communautés, telles que la Chinoise de New Dehli, Bangalore ou Kolkata. Elle est montrée avec beaucoup de tendresse, d'émotion. On sent bien que Vidura Jang Bahadur (1975) ne photographie pas ces joueurs de Majong, cette coiffeuse et sa cliente, ces familles... au hasard, l'artiste a passé plus de trois ans en Chine avant de revenir en Inde en 2005. Home (2006-2009) est une manière de ne pas briser le lien avec son séjour chinois. On s'attardera sur la photo de la famille Ma. Parents, enfants et petit-fils ont des visages heureux. La photo est colorée (mur vert, t-shirt bleu du petit garçon) presque surexposée, ce pourrait être du Martin Parr. Le kitsch chinois en Inde. Dans la même veine stylistique aux couleurs surexposées : la série de Dileep Prakash, The Anglo-Indians, propose une vision des familles mixtes, pères Anglais, mères Indiennes, leurs enfants. Chaque famille pose hiératiquement comme dans les portraits de la vieille bourgeoisie. Chacun est chez soi, dans son environnement. Le photographe a parcouru 41 villes indiennes pour récolter la mémoire des mariages mixtes, résultante de l'époque coloniale. Un peu kitsch, sans jamais dévoiler l'intime, ce passionné de locomotives à vapeur insuffle un supplément de noblesse à tous ces visages à la peau mate et aux yeux clairs. D'autres photographes encore à découvrir jusqu'à dimanche soir...
© Corinne Bernard, septembre 2009. (Parution : vivreabarcelone.com)
Exposition visible jusqu'au 27 septembre 09 au Palau de la Virreina, Rambla 99, Barcelone.
Avec Mapa de los sonidos de Tokio, en compétition cette année à Cannes, la cinéaste catalane Isabel Coixet offre une promenade sentimentale heurtée par la mort. Le film sorti ces jours-ci, invite à un Tokyo nocturne, l'un des personnages principaux.
On connaît le goût de la cinéaste pour les relations amoureuses avortées. Des éléments extérieurs brisent l'harmonie (la maladie, la mort, la peur...). Ici, c'est le suicide qui vient détruire. La vida secreta de la palabras (La vie secrète des mots) ou La vida sin mi (La vie sans moi), illustraient déjà cet engouement pour les sentiments voués à la destruction, voire à l'autodestruction. Ici, faire l'amour avec une inconnue apparaît d'abord comme un acte salvateur face au désarroi et au sentiment de culpabilité (toujours chez Coixet, celle d'une mort accidentelle ou celle de ne pas avoir vécu...). Comme une accalmie après la tempête (le suicide de la jeune femme qu'aimait David, personnage central de l'histoire). Il est clair qu'il se sent coupable de sa mort (la jeune femme s'est taillé les veines et a écrit sur le miroir de la salle de bains : « Pourquoi tu ne m'as pas aimée comme je t'ai aimé? ». L'"épigraphe" est équivoque : s'adresse-t-elle vraiment à l'amant, ne pourrait-elle pas plutôt s'adresser au père?... un riche homme d'affaires interlope. Sergi Lopez/David noie son sentiment de culpabilité par la recherche des sensations ressenties avec celle qu'il a perdue. Il entraîne la nouvelle, sublime, froide, muette, dans les endroits où il faisait l'amour avec l'ancienne (de nombreux scènes dans un love-motel, nommé La Bastille). Il n'y a pas d'amour entre eux, sinon physique. Elle, mène une double vie, les deux sont solitaires et noctambules. Lui, est un espagnol en terre étrangère, un barcelonais pas toujours à l'aise avec les coutumes nippones (la délicieuse scène des ramen ou David mange à l'européenne).
Par un hasard qui n'en est pas un, elle s'appelle Ryû (sublime interprétation de Rinko Kikichi)... Isabel Coixet est une amoureuse de lectures japonaises : Haruki Murakami et sans doute Murakami Ryû, n'ont que peu de secrets pour elle. Mapa de los sonidos de Tokio, est un hommage à leurs oeuvres, et l'on trouve un peu des deux auteurs dans le film. Peut-être plus de Ryû que de Murakami d'ailleurs, par la violence des échanges. Les seuls sentiments doux, véritablement, sont ceux entre l'héroïne et son unique et énigmatique ami. C'est lui qui donne le titre au film. Il enregistre les sons, les capte dans la ville, dans les échanges urbains, des traces sonores qu'il vend aux médias. Ce personnage est le le plus beau du film. Il voue à la belle silencieuse, une amitié sans bornes bien plus proche de l'amour que du simple bavardage. Tout le film déploie la dualité violence/amour et l'importance des silences. David tente d'aimer, en vain. Troublé par le souvenir de celle qu'il vient de perdre, suicidée pour « détruire son père », comme lui souffle à l'oreille le collègue de David. L'homme d'affaires ne peut vivre avec la mort de sa fille. Des personnages forts comme dans les tragédies, mais qui pêchent par leur manque de profondeur. L'associé de David lui rappelle d'ailleurs à quel point, nous européens, nourrissons encore des clichés au sujet de l'étrangeté nippone «cette réserve japonaise ». C'est ce qu'on pourra reprocher à la cinéaste. Par tant de réserve, son film nous laisse simples spectateurs alors que nous aurions aimé entrer dans Tokyo, écouter sa musique.
© Corinne Bernard, septembre 2009. (Parution : vivreabarcelone.com)